Entre l’enfer et le paradis 


Bien sûr, il y a le dépassement de soi, la recherche de ses extrêmes limites, le regard sur soi, une introspection qui pousse l’ultra marathonien dans ses derniers retranchements. Plus l’épreuve est difficile, plus l’extase est grande. Le Runfire Cappadocia est certainement l’un des ultra-marathons les plus difficiles au monde. La course du feu. Six jours d’enfer à vivre au paradis. Les règles sont strictes, le décor grandiose. En juillet, en Turquie, il fait chaud, si chaud. Bâté, le concurrent charrie sur son dos une autonomie complète. Ainsi, il part vigoureux. Jusqu’à l’épuisement, il portera ses pieds l’un devant l’autre. Six jours durant.

Pour la cinquième année consécutive, l’aventure s’est perpétuée au royaume de Cappadoce, sans doute le plus beau terrain de jeu au monde. La création du site a été sans doute conçue par un dieu en délire. Nulle part ailleurs, la géologie ne montre pareilles bizarreries. Les concrétions démentielles rendent le décor féérique. Le terrain de jeu classé par l’Unesco comme l’un des plus beaux sites historiques est tellement unique qu’on se demande s’il est vraiment terrestre. L’organisation Uzunetap, dirigée par le docteur Taner Damci, est réglée comme du papier musique que distillerait un orgue de barbarie et sait livrer de formidables prestations. Le Runfire Cappadocia Ultra Marathon est une course mobile, itinérante courue en six étapes sur 240 km au sein d’un site historique considéré comme un héritage culturel unique sur notre bonne Terre, celle que l’on aime tant fouler. Elle offre aux participants la chaleur du désert, l’atmosphère mystique d’un décor hors normes et un environnement naturel aussi surprenant que varié. C’est beau, très beau, aussi beau que difficile.


Le Runfire Cappadocia s’est déroulé cette année du 23 au 31 juillet sous différentes formes. L’ultra marathon a traversé de part en part la contrée sur 260 kilomètres courus en six étapes pendant six jours. En autonomie complète, le traileur a couru l’épreuve en embarquant dans son sac le matériel obligatoire et tout ce dont il a pu avoir besoin. Seul l’eau et une toile de tente ont mises quotidiennement à sa disposition, sur des camps de toiles de toiles d’Anatolie dressées chaque jour en pleine nature et sous les étoiles. La course débutée à Uçhisar, a traversé les vallées de Pigeon, Ürgüp, Göreme et Ihlara et offert une expérience unique quand il a fallu franchir le lac salé. Parallèlement, deux autres versions ont été proposées. 6G ou 4G, 4 étapes, six ou quatre étapes en 6 ou 4 jours, d’une vingtaine de kilimètres par jour, sans contrainte d’autonomie ou de sac à charrier. La dernière possibilité a consisté à courir une seule étape de 100 kilomètres. Un truc de fous.

Les caractéristiques principales qui font la beauté et la difficulté de l’épreuve sont multiples. Il y a d’abord le décor, la Cappadoce, connue pour ses paysages pittoresques résultant du volcanisme et de l’érosion, pour ses églises rupestres ornées de fresques, pour ses habitations troglodytiques et ses cités souterraines. Et Tuz Golu, le lac salé. Des étendues de terre où l’horizon se perd dans la multiplication des couleurs. La lumière y est vive, l’air caressant, le jardin édénique. Les arbres croulent sous le poids des fruits sucrés. Il n’y a qu’un bras à tendre. A perte de vue les champs de fleurs s’étendent. Du rouge, du vert, du bleu, du jaune. Les prés verdoient. Les blés sont blonds et les moissonneuses de nos grands pères s’affairent encore. Un berger et ses chiens cadrent de paisibles moutons. Les pierres noires que les volcans ont rejetées et que les rivières ont drainées parsèment le sol. Puis viennent le sable, le sel qui donnent au plat un goût sublime de paradis. Le dépaysement est total.


La terre en Cappadoce est parsemée d’enclaves, autant de caves grotesques que de grottes concaves. Point de départ et d’arrivée, le rocher d’Uchisar est un gruyère géologique, une curiosité classée. A des kilomètres à la ronde, les habitations troglodytes donnent un sens au mot terrien que nous sommes. Plus il y a de gruyère, plus il y a de trous. Et les coureurs s’en vont, GPS en mains pour unique balise. Bondissants, ils rebondissent au-delà des alvéoles peu communes, aussi surprenantes qu’elles ponctuent un chemin tortueux qui torture le voyageur. Aussi pressé qu’il soit, le temps s’est ici figé. Immuable cadre. Indescriptible décor. Rien ne sert de courir, autant flâner tant la nature est belle et préservée. L’ultra marathon se dispute dans un environnement difficile, semé d’obstacles. La caravane traverse Uchisar, Urgup, Göreme, Nevsehir, Hasandag. Elle longe ensuite les rivages brûlants de Tuz Gölu, du Lac Salé.

Le circuit de l’ultra trail totalise 260 km, prend parfois de l’altitude. La course longue et difficile emporte le peloton sur des sites naturels somptueux, des villes, des champs, la montagne, des lacs, quelques tunnels et des rivages de cristaux blancs. Si les quatre premières étapes totalisent chacune une trentaine de kilomètres. La cinquième est hors normes. Courue à travers champs sous une chaleur d’enfer, sans ombre possible et avec les reflets éblouissants du sel sur un sol meuble, elle compte près de cent bornes. Chaque centimètre carré de peau est livré aux rougeoiements. Aux chaleurs du jour qui écrasent le sac sur les épaules succèdent les fraicheurs de la nuit. Les torches s’allument sur les fronts dégoulinants. La première, une comète sud appelée Erica parcourra le relais en moins de douze heures, les derniers auront besoin d’une révolution. Tous resteront bornés sur leur réussite, l’accession au bout du voyage. Cent bornes de sol ingrat, une volonté peu commune. De l’extra ordinaire extraordinaire. Le dernier volet de l’épreuve, plus court, a ramené l’ultra-marathonien à son point de départ, l’a délivré du poids de son sac, de ce qu’il porte au fond de lui, de tout ce qui lui pesait tant : son vécu, ses ennuis, ses doutes, son stress. Il rentre vidé. Vidé et rechargé. Heureux. Seuls ses pieds meurtris de pèlerin gardent les traces de son aventure et de son périple.


Parce qu’au décor idyllique, aux difficultés que revêt l’étendue du parcours et à la longueur de l’épreuve, il convint de corser l’épreuve par des règles strictes, peu communes. Une autre particularité du Runfire Cappadocia réside dans l’autosuffisance assumée par chacun de ses coureurs. Chaque participant doit emmener dans son propre sac un équipement nécessaire et obligatoire, et toute la nourriture qu’il consommera durant sa semaine de sacerdoce. Nul ne peut déroger aux règles. Un simple cornet de glace glané à la traversée d’un village, un croûton de pain ou un fruit dérobé à la nuitée sur le site du camping entraine une irrévocable disqualification. Que ceux qui pêchent reçoivent la première pierre. Seule l’eau est fournie à volonté sur les lieux définis, tout autant au camp dressé chaque soir que sur les points précis de ravitaillement en course.

La communauté traverse ainsi sept jours durant une formidable aventure humaine. Aux efforts et aux recueils personnels, il convient de mentionner l’esprit collectif et l’accueil réservé. Têtes de Turcs, chiottes turcs, forts comme des Turcs, la compétence, la vigilance, les attentions, la gentillesse et les prestations offertes par les membres de l’organisation furent à la hauteur des difficultés de l’épreuve. Mention excellence au peuple qui reçoit. Tambours et chants accompagnent le refrain. Deux Canadiens, un Danois, une Egyptienne, Un Koweitien, Un Anglais, un Allemand, un Français, se sont joints aux quatre-vingts fondus partants. Au-delà de l’aboutissement de chacun survient l’extase. Des images gravées à jamais dans un coin de l’ordinateur ou au fond des mémoires. Le souvenir d’une aventure peu commune. Un voyage d’enfer couru au bout du paradis. Runfire Cappadoce, souvenez vous vous aussi. Que les plus timorés s’abstiennent. Retenez juste que la grandeur de l’épreuve fait la grandeur de l’âme. Et qu’une telle course est sans doute inégalable.

Brice de Singo (bricero@laposte.net)

http://runfirecappadocia.com/TR/

 

 

 

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