Kilian Jornet - Photo © J. Saragossa

Dans une longue interview donnée à l’hebdomadaire britannique « The Observer », la star du trail, Kilian Jornet, évoque sa nécessaire présence sur les réseaux sociaux et le fait d’être devenu un influenceur, au-delà d’un sportif de haut niveau. À l’heure où les meilleurs traileurs ont encore du mal à vivre uniquement de leur sport, cette réflexion interroge.

« Avant, c’était facile. Tu t’entraînais bien, tu étais performant, tu avais un sponsor. C’était basé sur la performance. Maintenant, la performance est toujours importante, mais tu dois aussi être…un influenceur« . C’est en ces termes que le Catalan s’est confié dans le long papier d’Alex Moshakis. Communiquer est désormais une part importante du métier de Kilian Jornet, plus que jamais, à l’ère des réseaux sociaux et particulièrement d’Instagram, plateforme où il dénombre 1 million de followers aujourd’hui.

Vivre du trail : mission impossible ?

Les traileurs « professionnels » sont encore très rares. Même les plus talentueux d’entre eux ont des difficultés à vivre pleinement de ce sport bien que les partenaires ne manquent pas. Marques de chaussure, vêtements, lunettes, montres GPS, nutrition sportive, stations de ski, offices de tourisme, départements, villes…si vous y regardez de près, beaucoup d’entre eux multiplient les sponsors quitte à réduire la visibilité de certains d’entre eux. Comment faire autrement quand on sait que très peu d’entre eux sont des partenariats « financiers ».

Qui dit partenaire, ne dit pas forcément rémunération, et nous touchons-là une première difficulté en termes de « professionnalisation ». Dans une grande majorité des cas, les partenariats entre un athlète et une marque – quelle qu’elle soit – ne se matérialisent qu’en dotation. L’athlète reçoit des produits gratuitement, en échange de quoi il offre sa visibilité. Il s’agit certes d’éléments matériels nécessaires à sa pratique, mais ce n’est pas ce qui lui permettra de payer son loyer ou de remplir son caddie. L’exemple des montres GPS est de ce point de vue éloquent : si Garmin a annoncé en grande pompe sa nouvelle recrue Xavier Thévernard avant sa tentative de record du GR 20, si Suunto est historiquement liée à Kilian Jornet ou François d’Haene, pour la grande majorité des traileurs élites (pour ne pas dire la quasi totalité), il ne s’agit que d’offrir une montre à l’athlète en question.

Autre difficulté : les prize money. C’est un débat récurrent dans le milieu et une limite encore importante. Imaginez un peu : remporter la plus grande et prestigieuse course de ce sport, l’UTMB, vous fait gagner 2000€. Bien sûr, une telle victoire permet aussi une énorme visibilité qui peut se monnayer en aval, et parfois des primes de victoire d’un sponsor. Mais contrairement à la course sur route, un traileur élite est encore loin de pouvoir compter sur les prize money pour tenter de vivre de son sport, même pour les meilleurs.

Néanmoins, de ce point de vue, de récentes initiatives peuvent laisser envisager une évolution des mentalités : les Golden Trail Series, circuit rassemblant certaines des plus grandes courses de la planète sur format « court » (jusqu’à des distances marathon), créé sous la houlette de Salomon en 2018, offrent en tout 240 000€ répartis équitablement entre femmes et hommes sur l’ensemble des 10 courses. Même démarche chez le tout nouveau Spartan Trail World Championship dont la première course s’est déroulée en Suède fin juillet : chaque course du circuit « ultra » permet à l’athlète vainqueur de remporter 3 500$ (contre 2000$ pour le circuit « classique »). Notons enfin l’initiative d’Ourea, nouvel événement qui aurait dû tenir sa première édition cet été, va également dans ce sens.

S’il est difficile de connaître exactement les sommes perçues par les stars de la discipline – Kilian Jornet, François d’Haene, Jim Walmsley, Pau Capell… – Xavier Thévenard, tout de même triple vainqueur de l’UTMB, a expliqué dans une interview récente réalisée par Bérénice Marmonier dans le journal l’Equipe, qu’il ne vivait entièrement de son sport que pour la première année de sa carrière…à 32 ans. Il toucherait entre 50 000 et 100 000 euros tout cumulé.

Les réseaux sociaux : caisse de résonance de la performance

Dans ce contexte, la réflexion de Kilian Jornet prend tout son sens. Être uniquement traileur de haut niveau est loin d’être suffisant pour pouvoir en vivre correctement. La présence sur les réseaux sociaux est devenue incontournable : l’athlète doit avoir une certaine notoriété publique pour créer des opportunités de convaincre des partenaires, et à l’inverse, les marques recrutent aussi sur ce critère.

Romain Gisselbretch, responsable de la communication de On running pour la France et le Benelux explique : « un athlète se définit avant tout par la performance. C’est une dimension essentielle pour une marque quand elle recrute, un socle nécessaire. Mais dans un deuxième temps, le fait qu’il ait déjà une communauté qui le suit, et une capacité à communiquer sur les réseaux sociaux, sont devenus, aussi, très importants ».

Ceci semble d’autant plus vrai dans le milieu du trail : « On parle d’un sport outdoor, très inspirationnel. La montagne, la nature, cette pratique a un fort potentiel pour créer une communauté et donner envie aux gens de pratiquer. Les réseaux sociaux sont une caisse de résonance : la performance crée la légitimité, elle demeure primordiale. Communiquer est une manière de la faire fructifier », ajoute-t-il.

Pour une marque, recruter un athlète présent et actif sur les réseaux sociaux, c’est aussi un moyen de toucher une communauté qu’elle n’aurait peut-être pas atteint autrement. « C’est le propre même de l’influence de l’athlète : si des gens le suivent, c’est parce qu’il dégage quelque chose qui les intéresse. Et si ce même athlète s’engage avec une marque qui partage des valeurs communes, alors sa communauté peut-être également intéressée » conclut-il.

Instagram, Facebook, faut-il tout jeter ?

Parfois raillés, les réseaux sociaux sont accusés par certains d’être déconnectés de la réalité. La critique est fondée, mais Romain Gisselbretch rappelle qu’Instagram, Facebook et autres « sont d’abord des outils que l’on peut utiliser de manière plus ou moins pertinente ». Contrairement à d’autres sports, il est difficile pour un athlète de n’exister qu’autour des compétitions, qu’il ne peut enchaîner tous les week-ends. « Les réseaux sociaux sont un moyen pour l’athlète de rester en contact régulier avec sa communauté, et de renforcer par là même son attractivité pour convaincre des partenaires de le soutenir ».

Si Kilian Jornet est une légende grâce à ces diverses performances hors et en compétition, il est aussi le meilleur exemple que les réseaux sociaux peuvent être utilisés à bon escient. Lorsqu’il partage sur Instagram ou Facebook certaines de ses réflexions sur l’entraînement, sur une course, sur sa préparation, il apporte une réelle plus-value. Qui n’a pas eu un élan de motivation après sa récente publication sur son fameux VK10K… ?

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